Évolution récente parmi les approches de la médecine de précision en Recherche et Développement, les oligonucléotides antisens (ASO) ont tenu leur promesse de révolutionner le traitement de maladies particulièrement rares d’origine génétique. Des maladies plus répandues pourraient également bénéficier des avancées de cette technologie, offrant un espoir thérapeutique grandissant dans différents domaines.

Lorsqu’il y a une erreur dans l’original du plan de construction d’une maison, l’erreur se retrouvera dans toutes les copies distribuées aux différents artisans, et ceci conduira inévitablement à des désordres sur le chantier.
C’est la même chose pour l’organisme.
En effet, l’ADN (acide désoxyribonucléique), localisé dans le noyau des cellules, est le support de l’information génétique de l’organisme, en quelque sorte le plan original de la maison. Cette information génétique portée par l’ADN est primordiale pour le bon fonctionnement du corps humain car elle permet, entre autres, la production des protéines. Ainsi, la moindre erreur de cette information peut induire des maladies génétiques graves, voire mortelles.
Une stratégie permettant de traiter ces maladies est donc de rectifier les erreurs qui les sous-tendent. Alors que la thérapie génique vise à corriger directement et de manière irréversible l’erreur dans l’ADN, une équipe américaine a eu, en 19781, une idée pionnière pour limiter les risques potentiels de cette approche : corriger non pas les erreurs initiales de l’ADN au niveau du noyau, mais intervenir sur ses copies temporaires appelées ARN (acide ribonucléique). Comment ? Via l’utilisation d’un assemblage « synthétique » d’acides nucléiques), capable de s’associer sélectivement à l’ARN erroné pour initier sa dégradation et ainsi éviter, entre autres, la fabrication des protéines défectueuses.

Cette découverte a ouvert la voie à un tout nouveau concept thérapeutique : soigner une maladie d’origine génétique en intervenant sur les copies temporaires (ARN) de l’ADN, et non l’ADN lui-même. Et, ce, via l’utilisation de ce que l’on appelle des oligonucléotides antisens (ASO), capables de se lier spécifiquement à cet ARN pour bloquer ses effets, dont la synthèse de protéines.
Neuf ASO autorisés entre 1998 et 2020
Au cours des décennies suivantes, différents verrous – activité biologique insuffisante, effets toxiques indésirables etc. – qui empêchaient la transposition de cette découverte en médecine clinique ont été successivement levés2. Grâce à ces avancées, la technologie ASO a tenu ses promesses et neuf ASO ont été autorisés dans plusieurs pays du monde entre 1998 et 20203 pour des maladies rares d’origine génétique affectant la rétine, le sang, les muscles, les nerfs ou encore le cœur.
Les bénéfices visibles chez les patients ont démontré l’intérêt des ASO. Par exemple, des enfants souffrant d’une atrophie musculaire spinale affectant jusqu’à leur fonction respiratoire, ont bénéficié d’une amélioration des fonctions motrices après injection d’ASO et ont pu même retrouver certaines postures simples comme tenir la position assise.
Actuellement, de nombreux ASO en phase avancée de développement clinique ciblent des maladies courantes3 comme par exemple certaines pathologies cardiovasculaires (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral). Ils présentent un fort potentiel, que ce soit pour le développement de nouvelles thérapies, ou l’amélioration de traitements déjà disponibles en offrant par exemple une fréquence d’administration mieux adaptée aux patients.
Servier : plusieurs molécules candidates
Engagé historiquement dans les neurosciences, Servier concentre ses recherches sur les maladies neurodégénératives, et plus particulièrement sur les pathologies du mouvement. En 2019, le Groupe a investi dans les ASO pour lutter, notamment, contre certaines formes rares et génétiquement définies de ces maladies.
« Trois ans plus tard, sept projets sont en cours », se félicite Johannes Krupp, directeur de programme de recherche en neurosciences. « Quatre menés en propre et deux en partenariat : un avec Mina Therapeutics et l’autre avec MJJ Biotech et Ranger Biotechnologies. L’un de ces projets visant à traiter le parkinsonisme atypique va bientôt achever sa phase préclinique, laissant espérer le début des études sur l’Homme en 2024 et un éventuel traitement disponible pour les patients à l’horizon 2032 ».
Le développement relativement rapide des ASO en comparaison de molécules plus conventionnelles et en particulier au cours des premiers stades de la rechercher, est principalement lié à l’adaptabilité de cette technologie à d’autres maladies génétiques pour lesquelles la séquence de l’ARN erronée est connue. Chaque projet bénéficie dès lors de l’expérience acquise et des technologies développées au cours des projets précédents.
Et demain ?
Comme tous les acteurs du domaine des ASO, Servier souhaite proposer une opportunité thérapeutique pour un nombre grandissant de maladies rares4,5 génétiquement définies et, cibler des maladies plus courantes comme la maladie de Parkinson.
Dépasser les frontières des seules neurosciences avec l’application de la technologie ASO est une possibilité qui se rapproche chaque jour :
« Nous avons récemment initié un projet de neuro-oncologie, certes encore très fondamental mais qui pourrait un jour mener à des innovations thérapeutiques pour traiter le glioblastome, un cancer du cerveau », confie Ross Jeggo, Directeur de l’Aire Thérapeutique Neurosciences et Immuno-inflammation.
Servier a fait le choix de développer son propre savoir-faire et son expertise dans le domaine des ASO depuis 2019. En 2022, ces activités se structurent au sein d’un programme ASO destiné à capitaliser sur les expériences acquises. L’objectif de ce programme est d’optimiser et de concentrer les efforts sur les multiples projets ASO, de manière à accélérer la mise à disposition de molécules candidates en vue d’une première administration chez l’homme. Servier développe sa propre expertise médicale et scientifique de manière significative et différenciée. Elle vise à appliquer la technologie ASO sur les maladies rares et ultra rares, l’ambition étant de développer une médecine de précision au bénéfice des patients atteints de ces maladies.
[1] Zamecnik PC, Stephenson ML. Inhibition of Rous sarcoma virus replication and cell transformation by a specific oligodeoxynucleotide. Proc Natl Acad Sci U S A. 1978;75(1):280-284. doi:10.1073/pnas.75.1.280
[2] Rinaldi C, Wood MJA. Antisense oligonucleotides: the next frontier for treatment of neurological disorders. Nat Rev Neurol. 2018 Jan;14(1):9-21. doi: 10.1038/nrneurol.2017.148
[3] Crooke ST, Baker BF, Crooke RM, Liang XH. Antisense technology: an overview and prospectus. Nat Rev Drug Discov. 2021 Jun;20(6):427-453. doi: 10.1038/s41573-021-00162-z
[4] Suppression of Mutant C9ORF72 Expression by a Potent Mixed Backbone Anti-sense Oligonucleotide. Tran H*, Moazami MP*, Yang H, McKenna-Yasek D, Douthwright CL, Pinto C, Metterville J, Shin M, Sanil N, Dooley C, Puri A, Weiss A, Wightman N, Gray-Edwards H, Marosfoi M, King RM, Kenderdine T, Fabris D, Bowser R, Watts JK, Brown RH Jr. Nat Med. 2021 Dec 23. Suppression of mutant C9orf72 expression by a potent mixed backbone antisense oligonucleotide | Nature Medicine
[5] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmoa1813279