Nicolas Garnier, Chief Patient Officer du groupe Servier, revient dans cette tribune sur son combat pour lutter contre l’errance diagnostique, une épreuve pour les patients.
En tant que Chief Patient Officer, je suis amené à échanger régulièrement avec les patients et les associations de patients. Au fil de leur partage d’expérience, je comprends que beaucoup tardent à se faire diagnostiquer. Ce phénomène d’errance diagnostique, souvent longue et coûteuse, représente une charge importante pour les patients et pour les systèmes de santé partout dans le monde. Je suis pourtant convaincu que des solutions existent pour réduire le temps d’errance !
Bien comprendre la notion d’errance diagnostique et ses enjeux
Il faut déjà comprendre ce que revêt la notion d’errance diagnostique. Elle désigne la période pendant laquelle un patient reste sans diagnostic clair de sa maladie. Cette situation est particulièrement fréquente chez les patients souffrant de maladies rares, où les symptômes sont souvent multiples, variés d’un individu à l’autre et non spécifiques.
En conséquence, les patients passent souvent des années à consulter différents spécialistes sans obtenir de réponse concrète. Comme le rappelle l’Alliance des Maladies Rares « plus d’un quart des personnes atteintes de maladies rares attendent parfois près de quatre ans pour que la recherche de leur diagnostic débute. »1
Par exemple, il faut savoir que les maladies rares – qui touchent environ entre 250 to 450 millions de personnes à travers le monde !2– posent des défis majeurs en termes de diagnostic et de traitement. Les caractéristiques cliniques de ces maladies ne sont pas toujours bien connues des médecins généralistes qui sont formés à identifier les maladies les plus fréquentes. Bien souvent, ces pathologies sont particulièrement difficiles à déceler car elles présentent une multitude de symptômes, qui peuvent refléter des conditions plus communes, et donc conduire à un diagnostic erroné ou tardif.
Des conséquences significatives pour les patients et pour notre système de soin
Malheureusement, une prise en charge tardive de la maladie réduit les chances de modifier la trajectoire de la maladie avant que des séquelles irréversibles ne s’installent. Elle réduit également les chances des patients de trouver un traitement adapté et efficace.
L’errance diagnostique revêt également un enjeu de santé publique. Elle entraîne indéniablement une mauvaise utilisation des ressources de santé et pèse sur les finances publiques. Les patients passent par de multiples consultations et examens, ce qui induit des coûts supplémentaires. Elle contribue à la saturation des systèmes de santé européens à l’heure où les délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste sont toujours plus longs. En France, il faut, par exemple, en moyenne 42 jours pour avoir un rendez-vous avec un cardiologue3. Dans certaines régions d’Espagne, le temps moyen d’attente est porté à 96 jours pour une première consultation chez un spécialiste.4 Aux Etats-Unis, on estime que l’impact budgétaire des maladies rares est de 1 000 milliards de dollars, et que ce montant serait significativement plus bas si les patients atteints de maladies rares étaient pris en charge plus tôt et mieux.5
Face à l’errance diagnostique : quelles solutions ?
Des solutions existent et peuvent être mises en place. Elles impliquent d’accompagner encore plus les médecins et de renforcer la collaboration entre le système public et l’industrie pharmaceutique.
Se ranger sur les standards les plus élevés du diagnostic précoce
Pour réduire les errances diagnostiques, il faut s’y attaquer au plus tôt car plus de 70 % des maladies rares sont d’origine génétique et se déclarent durant l’enfance.6 Force est de constater qu’il n’y a pas d’harmonisation de ces politiques au niveau européen. Par exemple, en France, on dépiste à la naissance 13 maladies alors que certains pays comme l’Italie vont beaucoup plus loin en proposant un dépistage de plus de 40 maladies à la naissance.7
En s’alignant sur les standards les plus élevés des pays membres de l’Union européenne, il serait possible de réduire le temps d’errance médicale dans le cas de nombreuses pathologies et d’orienter les patients vers des parcours de soin adaptés au plus tôt. C’est tout l’objet du groupe de recherche Screen4Care, qui s’appuie sur les nouvelles technologies pour améliorer la précision et la rapidité des diagnostics, soutenu par la Commission de l’Union européenne et la Fédération européenne des industries pharmaceutiques et des associations, auquel je contribue.
Systématiquement tester les patients en errance
Pour les patients en errance, il est indispensable de systématiser la détection génétique basée sur les outils de la génomique aujourd’hui validés : les panels génétiques, le séquençage de l’exome et du génome. Idéalement, il faudrait dès à présent utiliser les panels de gènes dits actionnables, c’est-à-dire correspondant à des pathologies pour lesquelles il existe un traitement préventif ou curatif, et actualiser ces panels avec des gènes correspondant à des traitements en cours de développement. Au-delà du fait de pouvoir poser un diagnostic plus précis, cela permet aussi d’écarter certaines pistes génétiques, d’accélérer l’inclusion des patients dans un essai en cours et dans le meilleur cas leur accès à un traitement approuvé. In fine, nous réduirons pour ces patients la perte de chance le temps d’inclusion dans des études cliniques ou leur accès à un traitement s’il est déjà approuvé !
Développer des outils de diagnostic plus précis
Tout développement de traitement doit être accompagné d’un outil de diagnostic adéquat pour mieux détecter les mutations, notamment dans les cancers rares et les maladies rares. Ils sont essentiels pour apporter au patient le bon parcours de soin dès le début.
Accompagner les professionnels de santé
Au-delà des laboratoires, il est important de diffuser les connaissances et les résultats de recherche auprès du personnel médical. Cela passe par des formations continues en collaboration étroite avec les experts de santé.
Améliorer la prévention
La prévention doit également être améliorée à travers des campagnes de sensibilisation auprès du grand public et du personnel médical, notamment pour une meilleure reconnaissance des symptômes rares et atypiques. Dans ce domaine nous nous impliquons dans la prévention auprès de tous les publics en collaborant avec les associations de patients.
Collaboration avec les patients
Enfin, le travail sur l’errance diagnostique ne peut se faire qu’en lien avec les patients. Premiers concernés, ils sont les plus à même d’expliquer leur vécu, leurs besoins et leurs préférences, mais aussi et de constater l’évolution de leur pathologie. C’est pourquoi, nous les intégrons à chaque étape du développement thérapeutique.
L’errance diagnostique est un sujet qui me tient à cœur. Nous pouvons tous y être confrontés à un moment ou un autre de notre vie. C’est avec le diagnostic que débute le parcours de soin. En apportant un diagnostic précis et rapide aux patients et à leur famille, nous pourrons garantir une meilleure équité en santé, c’est-à-dire le droit pour tous d’être vu, écouté, entendu, et soigné.
Et je suis persuadé qu’en faisant travailler ensemble patients, acteurs privés et pouvoirs publics, nous pourrons améliorer la prise en charge des patients de façon durable et réduire le temps d’errance et ses conséquences. En unissant nos forces, nous avons le pouvoir de transformer notre approche de la santé, pour le bénéfice de tous !
[1] Alliance maladies rares : https://www.alliance-maladies-rares.org/wp-content/uploads/2020/05/Erradiag-l-errance-diagnostic-dans-les-maladies-rares1.pdf
[2] Nguengang Wakap S, Lambert DM, Olry A, Rodwell C, Gueydan C, Lanneau V et al. Estimating cumu-lative point prevalence of rare diseases: analysis of the Orphanet database. Eur J Hum Genet. 2020; 28:165–173. https://doi.org/10.1038/s41431-019-0508-0 PMID: 31527858
[3] https://www.liberation.fr/societe/sante/de-3-jours-pour-un-generaliste-a-42-jours-pour-un-cardiologue-doctolib-publie-ses-delais-dobtention-de-rendez-vous-20240423_ZXTGCPK74JAPXELARFYRH534FY/
[4] OCU : https://www.ocu.org/salud/derechos-paciente/informe/tiempo-lista-espera-sanidad
[5] Yang G, Cintina I, Pariser A, Oehrlein E, Sullivan J, Kennedy A. The national economic burden of rare disease in the United States in 2019. Orphanet J Rare Dis. 2022; 17:163. https://doi.org/10.1186/s13023-022-02299-5 PMID: 35414039
[6] Rare diseases international : https://www.rarediseasesinternational.org/fr/vivre-avec-une-maladie-rare/ (consulté en mai 2024)
[7] https://www.regione.toscana.it/documents/10180/24488150/guida%20screening%20in%20francese.pdf/8e78750b-bbf7-4010-9b00-ec7623c2024d *