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Les bras de contrôle synthétiques vont-ils révolutionner les essais cliniques ?

SCIENCE CALLING

Les essais cliniques sont une composante essentielle de la recherche et du développement de solutions thérapeutiques.

Ils fournissent aux agences de régulation les données nécessaires pour évaluer l’efficacité et la sécurité des nouveaux traitements pour les patients. Leur conception fait aujourd’hui face à un certain nombre de défis, notamment dans les maladies rares, pour lesquelles la constitution de cohortes représentatives de l’ensemble des patients peut s’avérer particulièrement complexe.

Dans ce contexte et avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, une innovation a progressivement émergé ces dernières années : l’usage de bras synthétiques dans les essais cliniques. Ces bras synthétiques vont-ils alors révolutionner la façon de concevoir les essais cliniques ? Pour répondre à cette question, les équipes d’Insights ont assisté à la table ronde Synthetic Data & The Power of Twins for Trials organisée par Dassault Systèmes lors de la Science Week 2024, dans le cadre du cycle de conférences Science in The Age of Experience. Pendant cette table ronde, des experts de l’Institut Gustave Roussy, du National Institute for Health and Care, de Medidata AI et de Servier ont échangé autour des perspectives de déploiement des bras synthétiques et des défis et enjeux associés à leur adoption.

Les essais cliniques randomisés (Randomized-controlled trials) s’appuient sur deux cohortes de patients :

  • le bras d’intervention (intervention or exposure arm), qui rassemble des patients qui recevront le nouveau médicament ou traitement en cours de test.
  • le bras de contrôle (control-arm), qui regroupe les patients qui recevront le meilleur traitement actuel pour soigner leur pathologie : le traitement dit standard (standard-of-care treatment). Dans d’autres cas de figure, ces patients peuvent également recevoir un placebo.

Si la randomisation des essais cliniques est cruciale pour garantir l’efficacité des médicaments et la sécurité des patients, elle s’accompagne d’un certain nombre de challenges :

  • la constitution de cohortes ciblées représentatives de la diversité – notamment géographique – des patients affectés par une même pathologie représente un défi de taille, particulièrement dans le cas des maladies rares. Elle rend également la réalisation d’essais cliniques très coûteux. Cela peut alors parfois ralentir le développement de nouveaux traitements pourtant susceptibles de changer la vie des patients.
  • L’usage de placebos dans certains cas de figure complexifie par ailleurs le recrutement et l’engagement des patients, qui peuvent être réticents à l’éventualité de recevoir un traitement inactif d’une part ou peu enclins à suivre des protocoles stricts (visites de suivi, prise régulière de médicaments, …) s’ils soupçonnent l’usage d’un placebo d’autre part. Bien que ces essais répondent à un objectif d’avancée de la recherche et non pas de soin de la pathologie, ces placebos soulèvent également des questionnements éthiques.

Ces dernières années ont été marquées par l’usage de bras synthétiques dans le cadre d’essais cliniques relatifs aux traitements de maladies rares. Cette approche consiste à remplacer les données provenant des patients du bras de contrôle d’un essai clinique par des données issues de sources externes.

Avoir recours à la création d’un bras synthétique dans le cadre d’un essai clinique comporte de nombreux avantages. D’une part, la réduction du temps de développement des nouveaux traitements, en particulier pour les maladies rares pour lesquelles le recrutement de patients pour les essais cliniques est particulièrement chronophage. Ces dernières années, des bras synthétiques ont notamment été utilisés pour mener des essais cliniques portant sur un type de cancer très rare et sur des pathologies pédiatriques. D’autre part, la réduction de la durée des essais cliniques et in fine de leur coût, permettant alors une exploration optimisée de nouveaux traitements susceptibles de changer la vie des patients.

L’usage d’un bras synthétique permet également de réduire un certain nombre de biais pouvant survenir dans la conception de l’essai clinique. Il apporte notamment une réponse au biais lié au recrutement des patients participant à l’essai clinique pouvant résulter de l’usage de critères d’inclusion trop restrictifs (limite d’âge, exclusion de certaines comorbidités, lieu de résidence situé à proximité de la structure où est mené l’essai clinique, …). En s’appuyant partiellement sur des données issues de la vie réelle, il réduit également le biais corrélé au fait que les patients du bras de contrôle bénéficient parfois d’une meilleure prise en charge liée à un suivi médical plus rapproché dans le cadre de l’essai.

Témoignage

La randomisation reste la norme d’excellence pour les essais cliniques. Toutefois, dans le cas des maladies rares, le temps nécessaire à la constitution d’un échantillon représentatif de patients retarde considérablement l’autorisation de mise sur le marché de médicaments susceptibles de sauver des vies. De manière plus générale, demander aux patients de renoncer à un traitement dans un groupe témoin soulève également de graves préoccupations éthiques. En intégrant des groupes témoins synthétiques – ou au moins des groupes témoins hybrides -, nous pouvons compléter les données collectées, maintenir la rigueur scientifique et offrir aux patients un choix plus équitable. Cette approche pourrait bien constituer l’avancée éthique et juridique dont le secteur a besoin.

Sammi Tang Former Vice-President Global Head of Biometrics at Servier

Bras de contrôle synthétiques et externes : quelle différence ?

Pour réduire le nombre de patients dans le bras de contrôle d’un essai clinique, deux solutions peuvent être envisagées : l’usage d’un bras de contrôle externe ou d’un bras de contrôle synthétique.

Ces deux alternatives diffèrent de par la nature des données sur lesquelles elles reposent. Dans le cas du bras de contrôle externe, elles proviennent de patients ayant précédemment participé à des études cliniques ou ayant déjà reçu un traitement. Ces données sont utilisées telles quelles.

Dans le cas du bras de contrôle synthétique, les données sont générées en s’appuyant sur des modèles statistiques avancés. Elles proviennent de différentes sources combinées, incluant d’anciens essais cliniques (repurposed clinical trials) et de données d’observations issues de la vie réelle (real-world data). Ces données sont utilisées pour créer un groupe de contrôle au plus proche du groupe d’intervention.

Si l’essor des bras de contrôle synthétiques ouvre des perspectives prometteuses, leur déploiement doit s’effectuer sous plusieurs conditions afin de garantir l’intégrité des conclusions des essais et l’entière sécurité des patients.

La première condition est la disponibilité de données de santé de haute qualité, standardisées et représentatives des populations impactées par la pathologie étudiée. Là encore, les autorités régulatrices ont un rôle clé à jouer pour encadrer l’usage de données personnelles médicales, en proposant un cadre réglementaire garantissant l’entière sécurité des données des patients mais suffisamment souple pour permettre l’accès à un volume de données suffisant aux acteurs du monde de la recherche et de l’industrie pharmaceutique.

La seconde condition est la définition d’un cadre réglementaire clair encadrant l’usage des bras synthétiques par les autorités de santé régulatrice. Ces autorités devront faire preuve d’une grande agilité pour répondre aux attentes des patients concernant la mise à disposition rapide de nouveaux traitements tout en conservant le recul nécessaire pour évaluer l’ensemble des implications relatives à l’usage des bras synthétiques et définir une réglementation appropriée.