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La recherche dans les maladies rares : un grand potentiel d’innovation médicale pour les patients

Aujourd’hui moins de 5 % des maladies rares bénéficient d’un traitement

La recherche dans les maladies rares représente l’un des plus grands potentiels d’innovation médicale pour les patients

Entretien avec Nicolas Lévy, professeur de génétique humaine et médicale, directeur scientifique des maladies rares chez Servier

Nicolas Lévy : Il y a de nombreuses manières de définir les maladies rares, notamment avec des seuils chiffrés – même si, selon moi, la caractérisation d’une maladie rare ne doit pas dépendre uniquement des chiffres. Il faut savoir qu’il n’y a pas de consensus sur une définition universelle. Pour vous donner un exemple, en Europe, on estime qu’une maladie rare est une maladie dont la prévalence est inférieure à un cas sur 2 0001, c’est-à-dire qui touche moins d’une personne sur 2 000 à l’instant T. Cette définition est acceptée et validée par l’Agence européenne des médicaments (EMA). Prenons maintenant l’exemple des États-Unis : une maladie y est dite « rare » lorsqu’elle touche moins de 200 000 personnes sur le territoire américain2.

Dans l’ensemble, on s’accorde à dire que ces pathologies touchent entre 3,5 % et 5,9 %3de la population mondiale. Au total, plus de 9 000 maladies rares sont répertoriées4, ce qui correspond à entre 260 et 450 millions5 de patients dans le monde.

9 000

Aujourd’hui, on commence même à avoir des définitions qui apparaissent sur les maladies « ultra-rares » (moins de 50 000 patients dans le monde6), « micro-rares » (moins de 300 patients) et même « nano-rares » (moins de 30 patients)7. Mais attention, aucune de ces définitions n’est officielle au regard des autorités.  

N.L. : On s’accorde à dire que les maladies rares sont des pathologies associées à des besoins médicaux qui ne sont pas couverts et pour lesquels il n’y a pas de traitement approuvé. C’est vrai dans la plupart des cas, car aujourd’hui moins de 5 % des maladies rares bénéficient d’un traitement8. Et il s’agit plutôt de traitements pour les plus « fréquentes » d’entre elles si je puis dire. Alors que la plupart sont des maladies « ultra-rares » ou « micro-rares ».

Il faut également savoir que les maladies rares correspondent à 30 % de la mortalité infantile9. Certaines d’entre elles touchent uniquement les adultes, mais ce sont généralement des maladies pour lesquelles des facteurs congénitaux existent, et que l’on peut donc repérer avant l’apparition des premières manifestations de la maladie.

N.L. : Je vois deux cas de figure principaux. Le premier concerne les maladies qui sont déjà décrites par des caractéristiques cliniques, mais dont la cause et le mécanisme biologique n’ont pas encore été déterminés. Dans le second cas de figure, il arrive que face à une présentation clinique, on ne puisse pas rapprocher les symptômes d’une maladie déjà décrite. Alors, la mise en place d’une approche combinée (clinique, biologique, génétique…) peut permettre de détecter chez la personne atteinte une anomalie génique ou chromosomique, ou encore un signal biologique afin de lier simultanément la maladie à l’anomalie en cause.

On peut donc découvrir assez régulièrement de nouvelles maladies, et on peut encore avoir des surprises. Globalement, je dirais que la plupart des maladies qui couvrent le champ du rare correspondent à une cause génétique, soit qui est déjà découverte, soit qui reste à identifier, mais la maladie est quand même décrite. Par exemple, une détermination génétique directe de la maladie peut être établie dans 80 % des cas10. En outre, lorsque les maladies sont d’origine génétique, elles sont diagnosticables dans un peu plus de 60 % des cas.

Enfin, on constate une grande structuration parmi les associations de patients, les fondations et les réseaux d’experts nationaux, européens et mondiaux. En effet, en raison de la difficulté à identifier les patients et leur dispersion à l’échelle mondiale, la structuration de ces réseaux est essentielle pour identifier et faire avancer la Recherche pour les patients partout dans le monde.

N.L. : Cela a beaucoup évolué, et de nombreux progrès ont été faits en matière de diagnostic. Comme je l’évoquais précédemment, il y a aujourd’hui environ 60 % des maladies rares pour lesquelles un diagnostic existe. Attention, cela ne veut pas dire que 60 % des personnes touchées sont diagnostiquées ! Ensuite, c’est une question d’organisation. Aujourd’hui, lorsqu’un patient vient consulter un médecin dans un centre de référence, c’est précisément parce qu’on l’a adressé vers ce centre. Le patient se doute donc déjà qu’il est atteint d’une maladie un peu compliquée, potentiellement transmissible et à risque de devenir invalidante, et qui peut évoluer tout au long de sa vie… mais il veut connaître son diagnostic précis – et j’insiste sur ce dernier mot.

Il subsiste toujours une grande errance diagnostique avec des patients qui peuvent rester très longtemps – parfois plusieurs années – en attente d’un diagnostic que les professionnels de santé ont du mal à déterminer. Cela étant, dès lors que l’on a posé le diagnostic précis d’une maladie, avec un mécanisme génétique ou biologique quel qu’il soit, on a déjà fait une partie du chemin. À partir de là, on peut commencer à identifier des éléments du mécanisme de la maladie, élaborer des stratégies de prise en charge du patient et entrevoir comment on va construire une approche thérapeutique pour aller vers une molécule qui sera la plus efficace et avec le moins d’effets secondaires possible.  

N.L. : On ne peut pas dissocier la recherche sur les maladies rares de la recherche et de l’innovation dans les domaines de la génétique, de la génomique et de la biologie cellulaire. Je considère que la majorité des grandes avancées technologiques sont issues des recherches sur les maladies génétiques et plus largement sur les maladies rares. Lorsque l’on parle de thérapies cellulaires, de thérapies basées sur l’ARN, de thérapies géniques, d’oligonucléotides antisens (ASO), toutes sont des avancées liées à deux domaines : les maladies rares et le cancer.

Il y a beaucoup d’innovations très significatives dans ces domaines. Et pour qu’une découverte devienne une innovation, il faut qu’elle puisse entrer dans les pratiques courantes. Ces transformations sont liées au potentiel des molécules et ce sont des approches qui, je l’espère, vont devenir des innovations dans un futur aussi proche que possible.

N.L. : En ce qui concerne la thérapie génique, les oligonucléotides antisens et les thérapies pharmacologiques, il y a des centaines d’essais thérapeutiques à des phases d’étude différentes à travers le monde.  Par exemple, l’une des thérapies géniques les plus innovantes concerne l’amyotrophie spinale infantile. Cela laisse donc entrevoir de grands motifs d’espoir pour les patients !

De manière plus générale, il y a aujourd’hui de nombreux essais thérapeutiques dans les maladies de l’adulte et de l’enfant, des maladies neurodégénératives ou des maladies du neurodéveloppement. Je pourrais aussi parler des progrès considérables qui sont faits dans les maladies rénales génétiques, métaboliques ou neuromusculaires. La plupart des acteurs dans les domaines de la prise en charge, de la recherche ou du développement thérapeutique, s’accordent pour penser que l’on n’a jamais été aussi proche de l’identification de molécules à fort potentiel.

Les avancées en génétique moléculaire et en biologie cellulaire sont pour moi celles qui ont le plus permis de faire avancer la thérapeutique. Sans le décryptage du génome, nous serions aujourd’hui encore incapables de développer des thérapies antisens ou les thérapies géniques. Le séquençage à haut débit fait également partie des outils incroyables de la recherche en sciences de la vie et de la santé qui ont permis des progrès significatifs.

N.L. :  Je pense que l’on peut guérir d’une maladie rare, même si, je le redis, c’est une question à laquelle il est très compliqué de répondre sans nuances si l’on considère, le nombre, la diversité des atteintes et la complexité des mécanismes biologiques en jeu.

Il y a une différence entre guérir une maladie sans avoir à mettre en œuvre un traitement continu ; et contrôler la maladie grâce à un traitement chronique. Il faut bien séparer ces deux notions. Je parlais plus tôt des traitements innovants qui ont été développés récemment grâce aux avancées de la recherche, et dont certains permettent, effectivement, de guérir de certaines maladies pour certains patients. D’autres traitements en revanche, vont permettre de contrôler efficacement la maladie dans le temps. Nous avons déjà vu des progrès dans les deux cas, même si pour ce qui est de la guérison, il faut rester prudent, car nous manquons encore de recul dans le temps.

Par exemple, parvenir à stabiliser une maladie neurodégénérative à un stade peu avancé, arriver à la contrôler, serait un progrès plus que significatif pour les patients, et il me paraît évident que c’est un résultat que nous nous efforçons d’atteindre.

N.L. : Il y a à la fois des opportunités et des défis. Le premier défi a trait à la dispersion géographique des patients dans des zones, des pays très différents, ce qui complique le recrutement pour les études cliniques par exemple. Un autre challenge également, la collecte des données, des informations cliniques et des échantillons biologiques – ce que l’on appelle les études d’histoire naturelle – dans le parcours de vie ou le parcours de soin de ces patients.

95%

Enfin, je suis convaincu que lorsque 958 % des maladies ne disposent pas de traitement dans un domaine quel qu’il soit, il s’agit forcément d’un des plus grands potentiels d’innovation médicale et d’innovation en recherche dans les sciences de la vie et de la santé. Et cela fait partie des grandes opportunités pour les acteurs de la Recherche mais aussi pour l’ensemble des acteurs de la société.  

Dans ce contexte, il est donc indispensable de veiller à aligner les procédures de développement avec les agences réglementaires, mais aussi de réfléchir collectivement à un modèle économique pour l’accès au marché et la fixation du prix de certains médicaments. Pour les patients et les familles, c’est une question d’équité d’accès à la médecine et à la prise en charge.

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[1] Qu’est-ce qu’une Maladie Rare ? – Portail SLA (portail-sla.fr)
[2] FDA : https://www.fda.gov/patients/rare-diseases-fda#:~:text=on%20rare%20diseases%3F-,What%20is%20a%20rare%20disease%3F,drugs%20to%20treat%20rare%20diseases
[3] ncbi : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9632971/ 
[4] Adapted from N.Lévy, 2021; Les maladies rares et les espoirs de la médecine du futur. Eds Buchet-Chastel
[5] nbci : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9632971/
[6] nbci : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9287598/  
[7] Crooke S. Progress in molecular biology and translational science addressing the needs of nano-rare patients – ScienceDirect
[8] https://alliance-maladies-rares.org/nos-combats/
[9] https://www.scienceaujourlejour.fr/pages/maladies-rares/les-notions-de-base.html
[10] Qu’est-ce qu’une Maladie Rare ? – Portail SLA (portail-sla.fr)